– par Patrick Bloche, député, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale. lien vers L’architecte au service des territoires
Les grandes lois de décentralisation des années quatre-vingt ont donné aux collectivités territoriales, en particulier aux communes, la responsabilité première de la qualité architecturale des territoires. Mais, trop rapide et mal accompagnée, la décentralisation des compétences en matière d’urbanisme a été, dans de nombreux cas, synonyme de moins-disant architectural. Trop souvent, nos territoires se sont accommodés de réalisations architecturales peu ambitieuses, voire médiocres. Être maître d’œuvre s’apprend ; être maître d’ouvrage aussi.
La faiblesse de la maîtrise d’ouvrage publique n’a été que très partiellement compensée par l’intervention de l’architecte aux côtés des maîtres d’ouvrage privés. Du fait, notamment, des seuils fixés par la loi, l’architecte n’intervient en réalité que sur une faible proportion des projets de construction ; c’est en particulier le cas dans les territoires ruraux mais aussi dans les territoires péri-urbains.
C’est là toute l’ambiguïté législative : dès lors que le recours à un architecte n’est obligatoire qu’au-delà d’un certain nombre de mètres carrés, on en déduit trop aisément que son intervention est inutile pour les constructions de moindre importance. Les seuils constituent un instrument simple et efficace aux mains des pouvoirs publics mais leur logique est parfois contreproductive, si ce n’est perverse.
Or qui, plus que l’architecte, est à même de comprendre un territoire, d’analyser ses dynamiques, de valoriser son patrimoine et de créer de nouveaux attraits ? L’architecte ne construit pas ex nihilo, ni ne plaque sur un territoire des projets imaginés pour d’autres ; toute sa démarche, esthétique et fonctionnelle, est au contraire au service des territoires et de leurs habitants.
Les collectivités ont beaucoup appris des insuffisances passées et nombre d’entre elles sont aujourd’hui dans un autre état d’esprit, plaçant l’architecture et l’architecte au cœur de leur projet territorial. Plus encore, le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, tel qu’il a été adopté par l’Assemblée nationale le 10 mars dernier, entend promouvoir le transfert de compétences en matière d’urbanisme à l’échelon intercommunal, mieux armé que les petites communes pour faire face aux nombreux défis, techniques, économiques, sociaux et environnementaux, soulevés par l’exercice de ces prérogatives.
Avec le réseau des conseils d’architecture, de l’urbanisme et de l’environnement, les collectivités territoriales disposent d’une aide à la prise de décision qui pourrait être sollicitée davantage, comme l’avait d’ailleurs souligné le rapport de la mission d’information sur la création architecturale publié en juillet 2014 par la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale. Les collectivités peuvent en outre s’appuyer sur le réseau des maisons de l’architecture pour susciter, chez leurs habitants, un désir concret d’architecture. Ces institutions demeurent aujourd’hui insuffisamment employées alors qu’elles savent traduire de façon subtile et éclairée l’adéquation de l’art de bâtir avec un territoire.
Revitaliser les territoires, densifier les habitats, assurer la mixité fonctionnelle du cadre bâti, accélérer la transition énergétique, construire une ville connectée et durable sont autant de missions qui incombent aujourd’hui à l’architecte. Pour que la compétence et la création irriguent l’aménagement de nos territoires, la commande publique doit se faire plus ambitieuse et plus innovante, entraînant dans son sillage la commande privée, et la qualité architecturale des projets doit constituer un atout auprès des maîtres d’ouvrage publics.
Mais il importe également d’avoir, dans ce domaine, une action publique qui avance dans une seule direction : celle de la qualité architecturale sur l’ensemble des territoires. Trop de signaux contradictoires minent encore la cohérence des politiques publiques dans ce domaine, comme ce fut le cas récemment en matière de constructions à usage agricole.
Vigilance et volonté sont donc aujourd’hui plus que jamais nécessaires pour faire aux architectes toute la place qu’ils méritent dans l’invention des territoires de demain.
Patrick Bloche, député, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale