LA NOUVELLE REPUBLIQUE, 11/09/2015
Un emploi d’architecte sur cinq a disparu en à peine un an.
La crise économique et la baisse des commandes publiques frappent de plein fouet les agences d’architecture, dont la profession connaît une profonde mutation.
Les architectes ont le blues. Plus qu’un passage à vide, la profession traverse depuis 2008 une véritable crise, qui s’est encore aggravée ces deux dernières années. A tel point qu’une dizaine d’agences de Poitou-Charentes ont dû mettre la clé sous la porte depuis janvier. Dans la région, comme partout en France, 20 % des emplois ont disparu en à peine un an.
Uniformisation des villes et des paysages
Plus grave encore, quatre architectes sur dix vivent désormais en dessous du Smic. « Beaucoup ont même cessé de se rémunérer », s’alarme Benoît Engel, président du Conseil régional de l’ordre des architectes.
A l’origine du marasme, la baisse des dotations de l’État aux collectivités frappe de plein fouet une profession déjà fragilisée par la crise du bâtiment. « Depuis 2008, on a observé une baisse de 40 % de la commande publique dans la région », assure Benoît Engel, lui-même installé à Niort.
Résultat : chaque appel d’offres reçoit désormais plus d’une centaine de candidatures, contre une trentaine seulement en temps normal.
Les difficultés rencontrées par les architectes ne se limitent pas à la France.
Le dumping se répand
Face à cette sévère concurrence, certains n’hésitent plus à pratiquer le dumping (baisse artificielle des tarifs), une pratique pourtant réprimée.
Mais pour Benoît Engel, le malaise est plus profond. « Les médias s’intéressent uniquement aux grands projets, comme la Philarmonie de Paris par Jean Nouvel, ou la Fondation Vuitton par Franck Géhry, déplore-t-il, ça contribue à faire croire que le recours à un architecte est trop cher et trop compliqué, à tort. »
L’image du métier faussée
Cette méconnaissance explique en partie que 80 % des nouvelles constructions se passent d’architecte, au profit de grands groupes de BTP. Une particularité française dénoncée par la profession. Pour Christian Dautel, directeur de l’École d’architecture de Nantes, « la faiblesse de la culture architecturale aboutit forcément à l’uniformisation des villes et à la défiguration des paysages ».
Convaincu que la profession doit se réinventer, cet architecte de formation a fait de son établissement un laboratoire. Les étudiants ont la possibilité de suivre un double cursus en sept ans, mêlant architecture et ingénierie, en partenariat avec l’École centrale de Nantes. « Nous devons les armer pour évoluer dans un monde où le pouvoir de la technique est prédominant », argue le directeur.
Contrairement aux idées reçues, le recours à un architecte n’est pas réservé aux grandes fortunes.
Fini le cabinet libéral, place aux agences
Christian Dautel s’attache également à former de futurs entrepreneurs, à la mode anglo-saxonne. Près de la moitié des architectes ont déjà quitté le vieux modèle du cabinet libéral pour exercer en tant qu’associé. En pleine mutation, le secteur voit émerger des agences réunissant plusieurs dizaines d’architectes, qui proposent une multitude de services périphériques (imagerie, ébénisterie, etc.)
Et l’optimisme est de mise : malgré ses difficultés, le métier attire plus que jamais. Sur 2.400 candidats au concours d’entrée à Nantes l’an passé, seuls 130 ont été sélectionnés. Il leur reviendra de dessiner l’architecture du futur.
chiffres clés
> En 2013, la France comptait 29.831 architectes, dont 532 en région Centre et 447 en Poitou-Charentes.
> Le revenu net moyen des architectes s’élevait à 33.234 € en 2013. Il était de 41.139 € en 2008.
> En 2012, le secteur privé représentait 66,6 % des montants de travaux déclarés par les architectes, contre 33,4 % au secteur public.
> Aller plus loin avec l’ Observatoire de la profession d’architecte 2014. http://www.architectes.org/actualites/observatoire-de-la-profession-2014-une-crise-qui-perdure/
Chloé Bossard